Je me
souviens la première fois que j’ai vu Sami Frey à la télé, il adaptait sur
scène « Je me souviens » de Georges Perec. Je n’avais jamais
entendu parler ni de Sami Frey, ni de Georges Perec.
Je
suis tombé dessus par hasard et je n’ai pas décroché, j’étais scotchée (pardon
pour l’expression).
C’était beau, doux et envoûtant. Et un peu absurde en même
temps.
Ça m’a
marqué, puisque encore maintenant, lorsque quelqu’un commence sa phrase par «
Je me souviens », je pense aussitôt à Sami Frey.
Cette
adaptation théâtrale date de 1989 et j’habitais Beauregard, à l’époque. Je ne
l’ai pas revu à un autre moment, je ne crois pas. J’avais 16 ans et je me
revois sur le canapé, absorbée par sa voix chaude et rassurante, et par le rythme
des mots.
Ça m’a
donné envie de faire, moi aussi un « Je me souviens ».
Je me
souviens que mon père avait organisé un feu d’artifice dans son jardin, pour
une fête. C’était avenue Raymond Poincaré, dans la maison de mes
grands-parents.
Je me
souviens du poste de secours de Sion où les sauveteurs inscrivent la
température de l’eau sur un tableau et que c’est sur cette plage, au club que j’ai
eu mon premier amoureux Benjamin B.
Je me
souviens des personnes âgées qui vont nager tôt le matin ou qui marchent au
bord de l’eau.
Je me
souviens des deux cabanes qui vendaient des crêpes, des gaufres et des glaces.
Une cabane jaune et une cabane bleue. On allait à la jaune, la plus près.
Je me
souviens des premiers tubes de Mickaël Jackson et qu’on avait fait, avec ma
copine Anne-Ella, une chorégraphie sur Billy
Jean, dans le hall du poste de secours. Son père était chef de poste.
Je me
souviens que la première fois que je suis allée en boîte, c’était au Club
St-Hilaire.
Je me
souviens qu’à l’époque, j’étais amoureuse de Rodolphe.
Je me
souviens que je prenais le bus n°9 pour aller au lycée. Le 9, venant de
Puilboreau, puis le 6 pour St-Ex.
Je me
souviens que j’ai décidé de ne plus me ronger les ongles dans le bus pour
St-Ex. ça m’a pris d’un coup et ça a marché.
Je me
souviens du premier 45 tours que j’ai acheté, quand mon père habitait Marsilly.
J’étais en 6ème, c’était Raf – Self
Control.
Je me
souviens que petite, je croyais qu’on pouvait demander n’importe quel
renseignement en faisant le 12. Et que j’avais été déçue d’apprendre que ce
n’était pas possible, que ça m’aurait pourtant bien arrangé, plus tard à
résoudre mes problèmes de maths.
Je me
souviens des bijoux et surtout d’un bracelet en malachite que mon père m’avait
ramené du Gabon. Et qu’il s’était ramené, lui, un œuf de Cayor et qu’il avait
filé direct (encore) à l’hosto.
Je me
souviens de la Mini blanche de maman, qui chauffait et fumait dans les embouteillages.
Je me
souviens que la Mini était souvent chez le garagiste et qu’il s’appelait
Fumolleau.
Je me
souviens avoir appris la mort de Claude François, à l’arrière d’une voiture,
mais je ne sais plus s’il s’agissait de la Mini.
Je me
souviens qu’on détraquait, mon frère et moi, parce qu’on s’ennuyait la
pointeuse installée dans le chantier de mon père.
Je me
souviens qu’une fille au collège avait pleuré en apprenant la mort de Daniel
Balavoine et que j’avais trouvé ça ridicule.
Je me
souviens d’une autre fille au collège qui était tombée enceinte, qui n’avait
sans doute pas 16 ans et qui s’appelait
Edwige.
Je me
souviens des Merveilles de ma grand-mère et des yaourts faits maison.
Je me
souviens de l’odeur spéciale qu’a la maison de Sion.
Je me
souviens que le premier film que j’ai vu, c’est Le Plus grand cirque du Monde.
Je me
souviens être allée voir Billy Elyott
le jour de mon anniversaire et d’y être retourné dès le lendemain.
Je me
souviens de ma mère et de ma tante, plus jeunes se battant et roulant par terre
comme deux chiffonnières.
Je me
souviens qu’il pleuvait le jour où j’ai accouché et que la sage-femme m’a dit :
« Il pleut toujours pour le
Paris-Roubaix. »
Je me
souviens de ma grand-tante Yvette et de ses beaux ongles vernis.
Je me
souviens que j’étais au CDI quand le chanteur des Négresses Vertes est mort.
Je me
souviens qu’un jour, quelqu’un m’a crié, de loin, sur le parking de la plage de
Sion « T’es moche ! » Mais, que de là où il était, il ne pouvait pas se
rendre compte.
Je me
souviens que, petite, quand j’entendais dire d’un artiste « c’est son dernier
album », je croyais qu’il était mort.
Je me
souviens que je détestais les maths et les profs de maths dès la 6ème.
Je me
souviens que j’étais nulle en sport aussi, et surtout à la corde lisse.
Je me
souviens qu’en 6ème encore, entre midi et 2, j’allais au club
informatique et qu’on notait sur un petit cahier ce qu’étaient une souris ou
une disquette et à quoi ça servait.
Je me
souviens que mes copains de fac connaissaient par cœur les dialogues de C’est arrivé près de chez vous.
Je me
souviens qu’avec eux, je lisais Charlie
Hebdo. Pas encore Elle ou Marie-Claire, c’est venu plus tard, avec l’envie
d’acheter des sacs, des bijoux, et d’autres envies de mode.
Je me
souviens de la coccinelle rose et blanche d’Arnaud F., tombée en panne sur la
route de St-Michel-sur-Orge, la nuit sous la pluie.
Je me
souviens que j’étais un peu amoureuse de Magnum dans son uniforme des Marines,
et de la voix de Colt Seavers dans l’Homme
qui tombe à pic.
Je me
souviens que je m’imaginais volontiers au volant de la Ford Mustang de Steeve
McQueen dans Bullitt et que j’étais
un peu amoureuse aussi de Robert Redford dans Les Hommes du Président, et dans L’Arnaque, et dans Out of
Africa... En fait, j’en pinçais grave pour Robert R.
Je me
souviens que mon premier parfum a été L’Air
du Temps de Nina Ricci, et que c’était un tout petit échantillon.
Je me
souviens d’avoir oublié mon parapluie chez Tristan M. et que je n’ai jamais
revu mon parapluie puisque je n’ai jamais revu Tristan M.
Je me
souviens d’avoir été déçue car il était vraiment résistant ce parapluie.
Je me
souviens des jambes de Sylvie Vartan dans Champs-Elysées.
Je me
souviens des fourmillements délicieux au creux de mon ventre quand j’essayais
de construire une cabane dans mon lit.
Je me
souviens que mes parents regardaient Dallas à la télé, et que plus tard, je
regardais Santa Barbara.
Je me souviens qu’on attendait des heures que mon père veuille bien sortir du
chantier pour partir en vacances.
Je me
souviens d’avoir dormi un jour dans la voiture car il n’y avait plus de
chambres libres à l’hôtel.
Je me souviens que Frédéric M. m’avait impressionné en trouvant mon adresse à
Sion et surtout en convainquant mes grands-parents de m’emmener dîner. Quand on
connaît mes grands-parents.
Je me
souviens qu’on avait parlé à Vix avec mes cousins de Chantal Goya pétant les
plombs chez Patrick Sabatier.
Je me
souviens avoir appris plus tard que mon père n’était pas très content en Mai
81.
Je me
souviens qu’avec mon frère quand on avait envie de se défouler, on se lançait
un « Petite bagarre secrète ? » et que ça dégénérait toujours et finissait dans
les larmes.
Je me
souviens des méduses prises dans le courant du bac allant dans l’île de Ré.
Avant que le pont ne soit construit.
Je me
souviens que ma prof d’Histoire en 3ème nous avait ramené du caviar
d’un voyage en URSS.
...
A vous...